Le secteur de l'énergie traverse une période de bouleversements. Alors que le parc nucléaire français, historiquement conçu pour produire de manière constante, se trouve aujourd'hui dans une position d'ajustement, c'est l'énergie solaire qui prend de plus en plus de place. Depuis 2024, la production d'énergie solaire a un impact direct sur la gestion du parc nucléaire. Au cœur de cette évolution, la question est désormais de savoir comment le nucléaire s'adapte à cette nouvelle réalité : l'intermittence des énergies renouvelables.
1. Le basculement du profil de modulation : l'impact du solaire
Avec l'augmentation de la production d'énergie solaire, le profil de modulation du parc nucléaire a profondément changé. Le solaire, avec ses pics de production pendant la journée, est devenu une composante essentielle du mix énergétique, obligeant le nucléaire à ajuster sa production pour éviter de vendre à perte.
Le changement de rythme journalier
Traditionnellement, le nucléaire modulait principalement la nuit, lorsque la demande était faible. Cependant, avec la croissance exponentielle du solaire, la production d'électricité a changé, et la modulation se concentre désormais l'après-midi, en pleine période de forte production photovoltaïque.
- De la nuit à l'après-midi : Autrefois, les périodes de modulation se faisaient la nuit, lorsque la consommation était faible. Mais aujourd'hui, le solaire oblige EDF à réduire sa production en journée, lorsque l'ensoleillement est à son maximum.
- Corrélation avec la production solaire : Le développement massif du solaire a modifié le profil de modulation du nucléaire. En 2024, les périodes de réduction de la production nucléaire sont directement liées aux moments où le solaire génère de l'énergie en grande quantité, rendant le nucléaire moins compétitif à certains moments de la journée.
- Une augmentation des modulations diurnes : En 2024, les modulations économiques ont bondi de 240 % par rapport aux années précédentes, car les pics de production solaire obligeaient EDF à réduire sa production nucléaire. Ce phénomène s'est intensifié en 2025, montrant l'ampleur de l'intégration du solaire dans le mix énergétique.
La réponse aux signaux de prix extrêmes
Le marché de l'électricité a également été influencé par la production d'énergie solaire, qui a poussé les prix à la baisse, voire négatifs, pendant certaines périodes.
- Plus d'heures à prix bas : En raison de la production d'électricité à bas coût ou presque gratuit pendant les pics solaires, les périodes de prix bas, voire négatifs, se multiplient. Cela oblige EDF à ajuster sa production pour éviter de vendre à perte.
- Les coûts du nucléaire et la modulation : Quand le prix de l'électricité est trop bas par rapport au coût de production du nucléaire, EDF choisit de moduler sa production, notamment durant les périodes où l'énergie solaire domine. En 2024, environ 12 % des heures ont été à prix très bas, obligant EDF à réduire sa production.
2. L'économie de la décision : pourquoi EDF module face au solaire
Les modulations économiques ne sont pas une contrainte imposée, mais une stratégie pour optimiser les revenus. EDF doit désormais prendre en compte la concurrence des énergies renouvelables, notamment du solaire, qui offrent une énergie quasi gratuite à certaines périodes.
La stratégie d'optimisation des marges
- Choix économique, pas contrainte : Contrairement à ce que l’on pourrait penser, EDF n’est pas forcé par des réglementations à moduler sa production en faveur du solaire. Il s'agit d'une stratégie économique pour maximiser les profits en fonction de l’évolution des prix de l’électricité. Lorsque l’offre solaire est abondante et à faible coût, EDF choisit de réduire sa production nucléaire.
- L’ordre de priorité : Le solaire, avec ses coûts marginaux proches de zéro, est souvent priorisé sur le marché. EDF, dont le coût de production est plus élevé, doit ajuster sa production en fonction des prix de marché, réduisant ainsi sa production nucléaire pour s'adapter à cette offre massive et gratuite d'électricité.
Modulations à court terme et gestion du stock
Les modulations ne se limitent pas à une simple réduction de la production. Elles font partie d’une stratégie plus large visant à mieux gérer les ressources énergétiques à long terme.
- Volume en hausse : En 2024, EDF a modifié sa production de 26,5 TWh, soit une augmentation de 116 % par rapport à l'année précédente. Cette augmentation témoigne de l'adaptation nécessaire face à la production solaire.
- Gestion du combustible : Réduire la production pendant les pics solaires permet à EDF de préserver ses ressources pour des périodes où la demande est plus forte et où le solaire est moins performant, garantissant ainsi une gestion optimale des combustibles.
3. Conséquences sur le coût complet du nucléaire post-ARENH
Les ajustements du nucléaire en réponse à l'essor du solaire ont un impact direct sur les coûts de production, modifiant ainsi l'équilibre économique du secteur.
L'impact sur le coefficient d'utilisation (Ku)
- Relation coûts-production : Moins de production équivaut à des coûts unitaires plus élevés. Cela est dû au fait que la majorité des coûts liés au nucléaire sont fixes, ce qui signifie que lorsque la production diminue, le coût de production par MWh augmente.
- Baisse du Ku : Le coefficient d’utilisation du parc nucléaire, qui était de 91,2 % entre 1992 et 2024, est en déclin. D’ici 2026, les prévisions suggèrent qu’il pourrait tomber à 89,6 %, une tendance qui découle directement des modulations accrues liées à l'essor du solaire.
- Impact financier : Une baisse de la production de 20 TWh pourrait entraîner une hausse des coûts de production de 3 €/MWh, ce qui a des répercussions sur l’économie du nucléaire.
L'incertitude des prévisions et la nécessité d'anticiper la pénétration solaire
L'essor du solaire rend les prévisions de production plus complexes, rendant difficile la planification à long terme pour EDF.
- Incertitudes futures : L'incertitude sur les périodes de forte production solaire rend difficile l'estimation des besoins en modulation et la gestion des coûts à long terme.
- Risques pour les équipements : L'intensification des modulations pourrait entraîner une usure plus rapide des équipements nucléaires, ce qui pourrait augmenter les coûts d'entretien et de gestion.
4. Stratégies d'avenir et cohabitation nucléaire-solaire
L'intégration du solaire dans le mix énergétique impose de repenser les stratégies de production et de gestion de l'énergie.
Leviers d'atténuation des prix bas
- Flexibilité accrue de la demande : La flexibilité de la demande et le stockage de l'énergie, comme les batteries, peuvent aider à réduire les périodes de prix bas et à mieux intégrer l'énergie solaire dans le réseau.
- Développement du stockage : Le stockage de l’énergie, qu’il soit sous forme de batteries ou d'autres technologies, permettrait de mieux gérer les périodes de forte production solaire et de lisser les variations des prix.
- Régulation des ENR et de la demande : De nouvelles régulations, comme des incitations pour limiter la production d'énergie renouvelable pendant les périodes de prix bas, pourraient contribuer à stabiliser le marché.
Le parc nucléaire dans le cadre marchand (post-ARENH)
- Risque accru : Le cadre post-ARENH expose EDF à des risques financiers accrus en raison de la vente de l’électricité nucléaire à des prix de marché.
- Maintien de l’équilibre économique : EDF et les régulateurs doivent trouver un équilibre entre la rentabilité du nucléaire et les nouvelles dynamiques du marché, dominées par la production solaire.
Source : CRE
La nouvelle normalité de la flexibilité
L’essor du solaire transforme profondément le secteur de l’énergie. Le parc nucléaire, désormais obligé de moduler sa production pour s’adapter à la croissance du photovoltaïque, entre dans une nouvelle ère de flexibilité. Cette évolution, si elle comporte des défis, ouvre également la voie à une meilleure intégration des énergies renouvelables, avec un rôle clé à jouer pour le solaire. EDF doit désormais naviguer dans un marché plus compétitif, où le solaire occupe une place de plus en plus centrale, et où la gestion de l'énergie devient plus dynamique et plus souple.




